Un projet de loi, voté en première lecture à l’Assemblée Nationale, prévoit de rembourser les séances de psychologues des jeunes âgés de 6 à 21 ans. L’objectif: améliorer la prise en charge.
Anxiété, difficultés d’apprentissage, isolement, anorexie…de la petite enfance à l’adolescence, les raisons de consulter un professionnel des troubles psychiques foisonnent. Ainsi, pas moins de 33% des Français déclarent avoir consulté un psy au moins une fois dans leur vie selon un sondage Mediaprism. Pourtant, le site Profil Médecin recense seulement 15.171 psychiatres en activité. Du coup, les rendez-vous sont parfois très longs à obtenir.
C’est justement dans le but de faciliter l’accès des plus jeunes à ces professionnels de santé que les députés ont voté ce jeudi 27 octobre le projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2017 (PLFSS) . Celui-ci prévoit le remboursement par l’Assurance maladie des séances de psychologues pour les jeunes de 6 à 21 ans. Mais cette expérimentation est loin de faire l’unanimité chez les psychiatres.
Quand ça serait mis en place ?
La député Michèle Delaunay (PS), rapporteur du PLFSS 2017, espère lancer cette expérimentation à partir de janvier prochain. Pour l’instant, le projet n’a été voté qu’en première lecture à l’Assemblée Nationale. S’il ne l’est pas dans les mêmes termes devant le Sénat, les députés devront de nouveaus voter le texte.
Comment ça marcherait ?
Concrètement, les jeunes seront d’abord orientés par leur médecin traitant, scolaire ou pédiatre. Mais contrairement à aujourd’hui, où les consultations sont à la charge des familles, les séances chez un psychologue leur seront remboursées par la Sécurité sociale. Le but : “vérifier si les psychologues de ville ont une utilité qui peut justifier une prise en charge par l’Assurance Maladie”, a déclaré Michèle Delaunay.
Pourquoi ça pose problème ?
L’expérimentation est loin d’être du goût de tout le monde. Cette annonce a d’ailleurs soulevé un tollé chez les psychiatres, les médecins spécialisés en santé mentale. Un communiqué du Syndicat des médecins Libéraux, relayé par le site PourquoiDocteur, est d’ailleurs très incisif : “comment pouvons-nous laisser l’expertise et le suivi de nos jeunes de 6 à 21 ans entre les mains de non professionnels de santé détenant minimalement une maîtrise en psychologie ?”.
Les psychiatres ont en effet dix ans d’étude derrière eux. Le Dr Maurice Bensoussan, président du Syndicat des psychiatres Français ajoute : “le diagnostic doit rester à nous”. Mais loin de se rétracter, Michèle Delaunay répond que “si les maux des jeunes persistent, ils seront bien évidemment transférés devant des médecins spécialisés tels que les psychiatres”.
Un avis non partagé par tous les professionnels de la santé
L’expérimentation, votée jeudi 27 octobre par les députés, est saluée par le professeur Marie-Rose Moro, chef de service à la maison des adolescents de Cochin à Paris.
Psychiatre et psychanalyste, Marie-Rose Moro est aujourd’hui chef de service à la maison des adolescents de Cochin à Paris. Mais elle a longtemps exercé en Seine Saint-Denis, notamment à l’hôpital Avicenne de Bobigny. Et dès le début des années 2000, elle s’est battue, avec d’autres au sein du collectif « Pedopsy 93 » pour dénoncer le manque de moyens de la psychiatrie et de l’adolescent dans ce département.
La Croix : Que pensez-vous de cette expérimentation, votée en première lecture par l’Assemblée nationale et visant à faciliter la prise en charge de jeunes de 6-21 ans par des psychologues de ville avec un remboursement de l’assurance-maladie ?
Marie-Rose Moro: Face à cette initiative, il faut se garder de toute réaction corporatiste. C’est une expérimentation assez révolutionnaire et qui va dans le bon sens. Tout ce qui peut permettre une prise en charge psychologique plus précoce des enfants et des adolescents dans notre pays doit être soutenu. Et je pense que les psychologues peuvent être très utiles pour atteindre cet objectif, sans écarter pour autant les psychiatres.
La Croix : Les syndicats de psychiatres ne sont pas favorables à cette expérimentation…
Marie-Rose Moro: Je me bats depuis des années pour qu’on renforce les moyens de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, en particulier dans certaines zones urbaines ou rurales où le manque de professionnels est dramatique. Mais il faut être conscient qu’aujourd’hui, les psychiatres ne peuvent pas prendre en charge dans un délai raisonnable tous les jeunes en souffrance.
Cette expérimentation va se dérouler de manière très encadrée. Elle vise aussi réduire les inégalités sociales. Car actuellement, les parents qui ont les moyens de faire accéder leur enfant à un psychologue de ville peuvent espérer un rendez-vous dans un délai pas trop important. Alors que s’ils doivent se tourner uniquement vers les structures publiques, les délais d’attentes sont très longs, y compris dans une ville comme Paris.
La Croix : Et qu’en est-il dans un département comme la Seine-Saint-Denis ?
Marie-Rose Moro: La première consultation, celle pour faire le diagnostic et envisager la suite de la prise en charge, peut être relativement rapide. Mais ensuite, il faut toujours compter en moyenne six à neuf mois d’attente pour faire démarrer une psychothérapie à un adolescent. Dans certains endroits, le délai est même d’un an.
C’est terrible car à cet âge, la prise en charge doit souvent pouvoir être lancée dans le mois qui vient. Six mois après, la situation est parfois devenue totalement différente. Et c’est la même chose pour un enfant avec des troubles du langage. Il n’est pas admissible de devoir attendre plusieurs mois avant de pouvoir le prendre en charge.
Source : Les séances de psychologue bientôt remboursées pour les moins de 21 ans ? – de Julie Bernichan
Source : Marie-Rose Moro : « Il faut parfois attendre un an pour démarrer une psychothérapie chez un ado » – de Pierre Bienvault